
Les Culs-Reptiles, roman de Mahamat-Saleh Haroun, 240 pages, 19 euros. Quand j'ai découvert ce roman, j'ai eu l'impression que quelqu'un avait mis des mots sur ce que je connaissais trop bien.
Les « culs-reptiles », ces hommes allongés sur leurs nattes, spectateurs amorphes de leur propre vie, je les ai vus. Pas au Tchad, mais chez moi, en Tunisie. Ces antihéros qui commentent le monde sans pouvoir y participer, c'est ce que fabrique un État corrompu : des citoyens réduits à l'impuissance.
Haroun raconte Torodona, un quartier fictif où tout va mal, coupures d'eau, pannes d'électricité, chômage, répression. Moi, je n'ai pas besoin qu'on m'explique. J'ai vécu dans un pays où manifester pacifiquement te coûte ta liberté. Où une simple ironie publique peut te jeter en prison.
« Dans un pays normal... Mais nous ne sommes pas dans un pays normal, toi-même tu sais. » Cette phrase m'a frappé en plein cœur. C'est exactement ce qu'on se répétait entre nous, avant que je parte.
Le parcours de Bourma Kabo, ce type qui quitte les siens pour la capitale, puis se retrouve otage d'un régime qui réécrit même son identité pour servir ses intérêts. C'est une fable universelle. L'individu broyé par la machine. Le héros fabriqué puis jeté.
Derrière l'humour sarcastique, il y a une amertume que je reconnais. Celle de ceux qui ont dû partir pour survivre. Et pourtant, le courage de Bourma à transcender ce quotidien absurde, ça donne un peu d'espoir.
Ce roman parle du Tchad sans le nommer. Mais il parle aussi de la Tunisie. Et de tous ces pays qu'on a dû quitter.