Et si l'art n'avait plus de direction à suivre ? Pas de manifeste à écrire, pas de cause à défendre, pas même de forme à respecter. Sommes-nous alors face à sa fin ou à son commencement réel ?
Hegel voyait dans l'art une expression du Geist, une manière pour l'humanité de se comprendre elle-même. Mais une fois cette compréhension devenue assez abstraite, l'art, disait-il, cède la place à la philosophie. Son rôle serait terminé. Pour certains, c’est une perte. Pour d’autres, un déplacement. Arthur Danto reprend cette idée et la projette dans le contexte contemporain. En 1964, il découvre les Brillo Boxes de Warhol et comprend que l’art vient de basculer. Si une boîte de supermarché peut être une œuvre, alors c’est le concept même d’art qui est mis en jeu. Pour Danto, ce geste clôt une histoire entamée à la Renaissance: l’histoire d’un art en quête de mimesis, de technique, d’autonomie. Une fois devenu réflexif, l’art n’évolue plus… il pense. Ce n’est pas une mort, mais une métamorphose.
L’art n’existe jamais isolément : il dépend d’un « monde de l’art » composé d’artistes, de mécènes, d’institutions et de publics qui définissent ce qui est reconnu comme art. Et dans ce consensus, tout devient possible. L’ère du pluralisme commence. Mais que signifie créer quand toute direction est légitime ? Ce qui choque aujourd’hui sera demain exposé et vidé de sa force. Tilted Arc de Richard Serra, sculpture monumentale installée dans un espace public et retirée sous pression politique en est preuve : l’art critique n’est toléré que jusqu’à un certain point. Ensuite, il dérange l’ordre et on l’élimine. Dans cette logique, même les formes radicales deviennent des objets dociles. La photographie, pourtant démocratique par nature, est récupérée. Le musée n’est pas un sanctuaire de beauté, mais un filtre : il décide ce qui entre et ce qui doit être oublié. L'art n'attend pas nos définitions, il dérange, puis il s'épuise. L'art échappe toujours. Comme la révolte, il n'a de sens que dans son élan immédiat. Une fois absorbé par un musée ou par un discours, il devient un cadavre qu'on honore.
Face à cette tension, que peut l’art ? Des artistes comme Anicka Yi ou Kara Walker proposent une réponse. Yi, dans ses installations à la Tate Modern, fait flotter des écosystèmes robotiques dans l’air, des œuvres périssables qui interrogent l’écologie, la technologie et le féminin. Walker, avec ses grandes silhouettes en papier noir ou ses fontaines monumentales comme Fons Americanus, revisite l’histoire coloniale et raciale des États-Unis. Aucune de ces œuvres ne cherche à plaire. Elles provoquent, questionnent, incarnent une conscience critique.

Yi’s Living and Dying In The Bacteriacene

Walker's 'Fons Americanus' at Tate
Elles matérialisent le paradoxe de Danto : oui, tout est possible, mais certaines choses comptent plus que d’autres. Et elles répondent aussi à Crimp : oui, l’art peut être encadré, mais il peut aussi riposter, fuir, se reformuler.
Alors, l’art est-il fini ? Où est-il plus vivant que jamais, justement parce qu’il se sait vulnérable, récupérable, contesté ?
La vraie question n’est plus « qu’est-ce que l’art ? », mais « que voulons-nous qu’il fasse ? ». Créer aujourd’hui, c’est négocier entre liberté et capture, entre pluralisme et pouvoir. C’est maintenir ouverte une zone d’incertitude où l’art n’est jamais tout à fait ce qu’on attend de lui.
Et c’est peut-être ça, continuer après la fin.
Le mot essai vient du français « essai », qui signifie tentative. Écrire a toujours été cela : une tentative de pensée, une expérience sans garantie.
Bienvenue dans mon petit terrain de jeu. Essayons encore, et encore.